Elle n’avait plus que la lenteur pour elle. Cela faisait longtemps maintenant. Rien ne semblait plus pénétrer l’écorce qui la préservait de la folie tendre des hommes. Tous les chemins, elle croyait les avoir empruntés. Toutes les errances. Ou plutôt rien, elle ne croyait rien. Aveugle. Elle marchait. Obstinément, droit devant elle. Parce qu’il n’y avait plus ni choix ni issue. Un jour, elle reverra les lieux, les espaces où ses pas l’ont conduite à travers le brouillard de ses larmes mais saura-t-elle encore la force de son désespoir qui l’a poussée à ne pas en finir, à marcher plus avant, plus profond, à ne pas s’arrêter à aucun moment jusqu’à ce que l’épuisement la prenne et la jette, hébétée dans un sommeil inquiet.

Il était neuf heures du matin. Le soleil avait une âpreté de fin d’hiver, avec dans sa lumière pastel, une morsure très bleue qui perçait la laine des manteaux, des écharpes, des bonnets. Chacun marchait à sa manière, poursuivant sa propre direction avec la conviction que c’était la seule possible et avec la bonne conscience de celui qui la suit. Et la voilà plantée au milieu du va-et-vient insolite, les yeux grands ouverts, étonnés. Elle hésite. Rien ne la pousse nulle part et pourtant, il faut bien qu’elle choisisse. Elle pense brusquement qu’elle est libre et le rire la pince de l’intérieur parce qu’elle ne sait pas vraiment si c’est une chance ou si c’est une malchance. Alors, à rester plantée là à rire de l’intérieur, la voilà bousculée par les passants pressés qui dansent autour d’elle. Elle ferme les yeux. ‘Comme à colin-maillard’ pense-t-elle. Et poussée par le tournoiement de la foule, elle s’en va.