Je ne sais pas comment se déroule le temps. Je n'ai pas de montre. Il fait chaud. Je ne vois pas le soleil. Mes vêtements commencent à sécher. Comme j'avais soif, je me suis rappelé cette liane que m'avait montré César. Sa sève est une eau claire et fraîche. J'ai sorti mon petit canif du fond de ma poche et cherché parmi les longues tiges suspendues à la voûte forestière laquelle était la liane-eau qui étancherait ma soif. La voilà. La blessure faite par mon canif suinte de gouttes que je capte sur ma langue. C'est une eau fade et tiède. Elle me décolle les lèvres des gencives, elle m'assouplit la langue qui s'échappe du piège élastique et gluant de la soif et glisse doucement sur l'émail de mes dents. Mais la liane offre sa sève avec parcimonie. Le goutte à goutte ralentit et ma langue tendue comme vers une hostie attend la perle qui gonfle sur l'entaille du bois sans même que ses papilles ne perçoivent, à l'instant où elle tombe, aucun goût ni aucune fraîcheur. Ma mère devait m'attendre déjà et avoir mis au frais des orangeades de fruits pressés, inconsciente, infiniment patiente, et je lui en voulais de cette inconséquence alors que s'installait en moi la terreur silencieuse d'être piégée dans cet espace sans frontière, toujours pareil à lui même, arbres frères et miroirs, feuilles cireuses ou dentelées, palmes géantes, bruissement de lichens, frémissement de litière, branches qui craquent et qui tombent, le silence bruyant d'un univers qui me rejette et qui m'enferme.