Puis la pluie est tombée, de grosses gouttes très denses qui s'écrasaient sur la terre battue en myriades de clapotements. J'étais à peine protégé par le toit et les éclaboussures me pointillaient les jambes. L'humidité réveilla l'odeur fongique de la terre, de l'écorce dévorée par les termites, des mousses qui poussaient sur les racines des manguiers, de toute cette vie silencieuse au ras du sol qui attend ce moment de grâce où la pluie va les gorger d'eau, les gonfler comme des éponges, les traverser comme des filtres poreux, leur laissant ses bienfaits, emportant vers les nappes profondes ce qui leur est inutile. L'argile battue refusait l'eau qui ruisselait maintenant comme si nous avions eu une rivière sur le pas de notre porte. Elle était ocre comme l'eau du fleuve, un peu laiteuse à cause de l'argile. J'étais tout enveloppé du bruit de la pluie sur les tôles, sur la terre, sur la végétation, j'étais ailleurs et dedans, loin de ma mère et de Malika dont je n'entendais pas les voix derrière moi dans la chambre, loin de mon père qui devait servir à dîner, loin de Mademoiselle Bénédicte qui devait être assise à table, le dos droit, les mains posées sur le côté de son couvert, face à son père qui la faisait trembler. J'étais à l'intérieur de moi-même, à l'intérieur de la pluie, au cœur de cet effacement, de cette monotonie chaude et humide qui me faisait frissonner de bien-être et bientôt de sommeil, et comme j'avais posé ma tête sur mes genoux et caché mes yeux à l'abri de mes bras pour être totalement et uniquement conscient de ce bruit apaisant dans sa violence, j'avais guetté pour le goutter dans toute sa durée, l'engourdissement voluptueux qui avait fini par m'endormir.